De la yeshiva à l’armée

Le Rav Yehuda Amital est né en 1924 en Roumanie et étudie dans son enfance auprès des plus grands maîtres d’Europe de l’Est. Après avoir vécu l’enfer de la Shoah, il monte en Israël où il continue à étudier la Torah au sein de la célèbre Yeshivat Hevron. Cependant, si le Rav Amital profite au mieux de l’excellent niveau de la Yeshiva, il n’adhère pas du tout à la pensée de ses maîtres. Très vite, il commence à se rendre régulièrement au cours du Rav Yaacov Harlap, élève du Rav Kook et Rosh Yeshiva de Merkaz Harav – ce qui le met en froid avec les dirigeants de sa Yeshiva.
Durant la guerre d’indépendance, il s’engage dans la Hagana. Quelque années plus tard, il résume son expérience en tant que soldat religieux dans un essai intitulé La voie du soldat religieux durant la guerre d’indépendance. Après la guerre, il épouse la petite-fille du Rav Isser Zalman Melzer, dirigeant de la Yeshiva Etz-Hayim qui fut aussi le maître de Rav Shakh, de Rav Auerbach, de Rav Goren et de Rav Kotler. Le Rav Amital enseigne aux côtés du Rav Shakh à la Yeshivat Hadarom puis fonde la Yeshiva Har Etzion, qu’il dirige avec le Rav Aron Lichtenstein.
Revirement politique
Un des éléments frappants dans la vie du Rav Amital est sa capacité à se remettre en question et à changer ses positions. La devise du Rav Amital était le kidoush Hashem, la sanctification du nom divin. Le Rav Amital affirma plus d’une fois que là où il pensait être en mesure de réduire le hiloul Hashem il ne pourrait pas se taire, quitte à subir les foudres du public ou des autres rabbins.
Ainsi, après la guerre des six jours, le Rav Amital fonda la Yeshiva Har Etzion en plein Gush Etzion. À cette époque, il ne cachait pas son appartenance au mouvement pour le ‘’Grand Israël’’ ainsi que ses opinions très à droite. Après la guerre de Kippour, où il perdit huit de ses proches élèves, le Rav Amital changea de camp et lutta pour la paix, même au prix de concessions territoriales. À ceux qui l’accusèrent d’avoir retourné sa veste après la mort de ses élèves, le Rav répondit simplement que cela était vrai. En effet, son amour d’Eretz Israël ne dépassait pas son amour de la vie. Pour lui la Torah était avant tout une Tora de vie, תורת חיים. Dans cette optique, le Rav Amital fonda le parti Meimad, parti politique religieux-sioniste, proche du centre gauche.
La perte des valeurs universelles est la conséquence directe d’une éducation religieuse dévoyée
Une Torah de vie
Sa capacité à revoir ses positions apparaît aussi dans un tout autre domaine : celui de l’éducation des jeunes filles religieuses. Le Rav Amital adhérait initialement à l’avis religieux populaire qui ne voyait pas grand intérêt à ce que les jeunes filles approfondissent la Torah. Sous l’influence du Rav Lichtenstein, le Rav admit son erreur et devint un des plus fervents partisans de l’étude pour femmes. Il participa d’ailleurs à la fondation de la Midreshet Migdal Oz, bastion du féminisme religieux.
Une de ses grandes douleurs était de voir la pensée unique gagner le judaïsme religieux. Pour lui, la morale divine ne saurait contredire la morale humaine, et la perte des valeurs universelles au sein du public religieux ne pouvait qu’être la preuve d’une erreur présente à la racine même de l’éducation religieuse. Pour illustrer ses paroles, le Rav Amital aimait citer cette célèbre histoire hassidique :
« On raconte que le Baal Hatanya étudiait un jour dans sa maison quand il entendit les pleurs d’un nourrisson. Il se leva, partit consoler l’enfant et revint étudier. Soudain il s’aperçut que son fils, père de l’enfant, se trouvait dans la pièce d’à côté, plongé dans son étude. Le Baal Hatanya lui demanda pourquoi il n’avait pas consolé l’enfant. Son fils lui répondit que sa concentration était telle qu’il n’avait pas entendu les pleurs du bébé. Le Rav lui dit que si son étude ne lui permettait pas d’entendre les pleurs d’un enfant, c’est que son étude n’était pas saine. »
Personnalité complexe et travaillée, le Rav Amital consacra sa vie à la Torah. Une Torah de vie, destinée à rapprocher les éloignés et à éclairer les nations. Décédé à Jérusalem en 2010, les dizaines de milliers d’élèves présents à son enterrement ainsi que les grandes personnalités rabbiniques qui firent son Hesped témoignent de sa grandeur et de l’amour que lui portait le peuple.
NB La plupart des éléments biographiques présents dans cet article proviennent de la biographie du Rav Amital écrite par Elyashiv Reichner, disponible en anglais sous le titre de By Faith Alone: The Story of Rabbi Yehuda Amital, Toby Press Ltd 2011.
Contenu issu du blog Aderaba, publié la première fois le 17 juillet 2010