Études et enseignement à l’Université de Jérusalem

Yeshayahou Leibowitz est probablement le plus grand philosophe juif du siècle dernier, et le plus controversé. Né à Riga en 1903 et décédé à Jérusalem en 1994, il était un incroyable autodidacte. Élevé au sein d’une famille proche de la néo-orthodoxie allemande, Leibowitz reçoit une large éducation religieuse et profane. En 1919, il part en Allemagne poursuivre des études de chimie et de philosophie. En 1924, il obtient son doctorat à l’Université de Berlin. En 1934, il obtient un second doctorat en biochimie à l’Université de Bâle. Fervent sioniste et membre actif du Mizrahi (mouvement sioniste religieux), il rejoint alors la Palestine mandataire et obtient un poste à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où il sera promu doyen de la Chaire de chimie organique et de neurologie en 1951. Parallèlement, Leibowitz dispense de nombreux cours traitant d’études juives.
Un philosophe rationaliste
Si Leibowitz est connu, c’est surtout pour sa philosophie particulière du judaïsme, ses avis très tranchés et ses prises de positions singulières sur la politique israélienne. Grand admirateur de Maïmonide, Leibowitz prônait un judaïsme extrêmement rationnel, allant jusqu’à considérer le mouvement mystique comme quasi-idolâtre. Pour Leibowitz, les commandements religieux n’ont d’autres buts que celui d’être accomplis. Les réflexions théologiques l’intéressaient peu : pour lui, la Tora est au centre, et non Dieu. À ses yeux, seule une pratique désintéressée des mitsvot possède un sens religieux. Vu sous cet angle, il considère les descriptions théologiques sur le paradis et le messie comme inutiles et sans le moindre intérêt spirituel.
L’essence de la foi juive est incarnée par rien d’autre que le système de la pratique des mitsvot
Pour Leibowitz, la religion se doit d’être indépendante et préservée de toute influence extérieure. Ainsi, il s’oppose frontalement à la critique biblique, incursion scientifique dans le monde religieux, mais aussi au nationalisme religieux. Pourtant, Leibowitz était lui même un grand universitaire ainsi qu’un fervent sioniste. Mais pour lui, si un homme peut croire à plusieurs valeurs à la fois, il ne peut les mélanger entre-elles. Dans une certaine mesure, on peut dire que Leibowitz proposait une philosophie de la schizophrénie. Religieux et sioniste mais fervent combattant du »sionisme-religieux » ; scientifique mais ennemi des études juives universitaires, ses prises de positions lui valurent plusieurs ennemis et opposants.
Contre le sionisme-religieux
Au sujet du sionisme, Leibowitz refuse d’y voir autre chose qu’une volonté légitime d’indépendance. Pour lui, l’état ne représente qu’un moyen, et non un idéal. Il critique avec vigueur ceux qui voyaient dans l’état une réalisation messianique et voit dans cette tendance un héritage moderne du christianisme et du sabatéïsme. Leibowitz critiqua aussi de façon ardente de la politique israélienne d’après 67. Selon lui, Israël menait une politique d’occupation destructrice en niant jusqu’à l’existence même d’un peuple palestinien. Il faut noter que Leibowitz critiqua la politique israélienne dans les territoires dès 1967, à une époque où même la gauche israélienne ne pensait pas à restituer les territoires gagnés. Durant la première guerre du Liban, Leibowitz parla de pratiques »judéo-nazies »chez certains soldats, ce qui lui valu les foudres de toutes les couches de la société israélienne et contribua grandement à la polémique qu’il provoqua lorsqu’on le désigna comme candidat pour le prestigieux Prix d’Israël. Itzak Rabin lui même, alors premier ministre, fit savoir qu’il n’assisterait pas à la cérémonie si le prix lui était remis. Leibowitz décida, avec beaucoup de modestie, de refuser le prix, mettant fin à la polémique.
Incompatibilité entre religion et humanisme
Fervent défenseur des droits de l’homme et militant anti-nucléaire, Leibowitz rejetait pourtant l’humanisme. Pour lui, un humaniste se doit d’être anti-religieux, anti-fasciste et anti-nationaliste. Or, selon Leibowitz, le nationalisme, tant qu’il ne bascule pas dans le racisme, est totalement légitime. Pour lui, la religion est incompatible avec l’humanisme puisque selon lui, elle demanderait à l’homme de se soumettre au joug des mitsvot sans tenir compte de la moralité de tel ou tel commandement. De plus, même les lois aux apparences morales ne seraient, toujours selon Leibowitz, que des ordres dont le sens nous est imperceptible.
On peut affirmer que Leibowitz était aussi brillant que controversé. La critique majeure à le pensée leibowitzienne fut émise par sa propre soeur Néhama. Pour elle, son frère proposait de brillantes théories, mais totalement déconnectées de la réalité et de la société qui l’entouraient.
Nombres de ses écrits ont été traduits et édités en français, notamment par Gérard Haddad :
- Judaïsme, peuple juif et État d’Israël, Éditions J.-C. Lattès 1985.
- La foi de Maimonide, Éditions du Cerf 1992.
- Brèves leçons bibliques : remarques sur la Parashah de la semaine, Éditions Desclée de Brouwer 1995.
- Science et valeurs, Éditions Desclée de Brouwer 1997.
- Devant Dieu : cinq livres de foi, Éditions du Cerf (collection Histoires. Judaïsmes], 2004
- Les fondements du judaïsme : causeries sur les Pirqé Avot, aphorismes des Pères et sur Maïmonide, Éditions du Cerf 2007.
- Les fêtes juives : réflexions sur les solennités du judaïsme, Éditions du Cerf 2008.
- Corps et esprit : le problème psycho-physique, Éditions du Cerf 2010
Contenu issu du blog Aderaba, publié pour la première fois le 15 octobre 2019