La parasha de cette semaine commence par des mots forts : « Vous vous tenez debout aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel votre Dieu ».

אַתֶּם נִצָּבִים הַיּוֹם כֻּלְּכֶם לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם רָאשֵׁיכֶם שִׁבְטֵיכֶם זִקְנֵיכֶם וְשֹׁטְרֵיכֶם כֹּל אִישׁ יִשְׂרָאֵל.

Ces mots sont profondément ancrés dans le présent du discours de Moïse aux Israélites avant sa mort. Et pourtant, malgré le lien emphatique avec le temps du discours, ces versets voyagent, acquièrent un sens supplémentaire qui nous parle, de nous et à nous, aujourd’hui. Je veux m’interroger sur ce que signifie « se tenir debout » (nitzav). Que nous dit ce mot, que nous demande-t-il ? 

Que signifie “se tenir debout” ?

En hébreu moderne, l’une des significations du mot nitzav est “figurant”. On parle de nitzavim (figurants) principalement dans le contexte du cinéma, quand on a besoin de gens qui n’ont pas de rôle dans l’intrigue du film, mais auxquels on demande de représenter une présence humaine dans l’espace. Situé à mi-chemin entre le décor et les personnages, le figurant c’est celui qui n’a d’autre but que d’être là, pour que le film ressemble à la réalité qu’il cherche à imiter. 

Il est clair que ce n’est pas ce que Moïse veut dire quand il parle aux Israélites qui « se tiennent debout » (nitzavim). Dans la Torah, le mot nitzav est utilisé dans de nombreux contextes, mais son sens est toujours lié, avant tout, à une posture ferme, droite qui, comme la gerbe de Joseph face aux gerbes courbées du reste de la famille, est elle-même symbole de supériorité. 

Le mot nitzav n’est pas toujours positif. Parfois, il a des connotations négatives : « Tout le peuple se tient devant toi du matin au soir1 », dit Jéthro à Moïse. Il s’agit ici d’une attitude exigeante qui épuise Moïse. Dans de nombreuses histoires, celui qui se tient debout, ou se tient debout « sur » quelqu’un, se dresse devant l’autre dans une position de pouvoir, d’autorité, voire de commandement. 

Mais le plus souvent, le mot nitzav décrit la posture physique – debout – d’une personne qui fait montre de disponibilité ; une posture éveillée, attentive et déterminée. C’est le sens que le mot prend dans le Livre de la Genèse, dans l’histoire du serviteur d’Abraham, et dans le Livre de l’Exode, quand la sœur de Moïse, Myriam, se tient debout, comme le verset le dit : « Et sa sœur se tint à distance (vatetatzav), pour savoir ce qui lui arriverait »2 ; pour savoir ce qui lui arriverait : c’est-à-dire, peut-être pour veiller et voir ce qui arriverait à l’enfant, ou, peut-être pour prophétiser. 

Debout pour entrer dans l’alliance

Quand Moïse dit aux Israélites – « Vous vous tenez debout aujourd’hui, vous tous » – il s’agit clairement d’une posture intentionnelle, une posture qui marque un engagement. C’est une posture qui symbolise le renouvellement de l’alliance (brit) des Israélites avec Dieu, « pour entrer dans l’alliance de l’Éternel ton Dieu et dans son serment ». C’est la posture de personnes conscientes, qui acceptent les conditions de l’alliance et s’y engagent en toute lucidité. Ce ne sont pas des gens qui sont « là » par hasard : ils montrent, par leur être physique – par leur présence dans l’espace et leur posture corporelle – leur volonté et leur engagement d’entrer et de rester dans l’alliance de l’Éternel. 

C’est ainsi que Rachi interprète ce verset : « Vous vous tenez debout aujourd’hui, vous tous » – cela nous enseigne qu’il les a rassemblés devant Dieu, le jour de sa mort pour les faire entrer dans l’alliance. 

Autrement dit, le mot nitzavim décrit un rassemblement qui inclut également un aspect de renouvellement de l’entrée dans l’alliance. La traduction de Jonathan Ben Uzziel interprète le mot en y ajoutant une idée de « publicité » et de “préparation”. Traduction de Jonathan : « Moïse, le prophète, dit : ce n’est pas dans le secret que je témoigne contre vous, mais quand vous êtes préparés, aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel votre Dieu, les chefs de vos sanhédrins et les officiers de vos tribus, vos anciens et vos chefs, et tout le peuple d’Israël. » 

Mais le mot ne fait pas seulement référence au rassemblement du peuple, ni du caractère public et déclaratif de l’événement, mais bien de l’acceptation renouvelée du cadre de l’alliance que le Saint, béni soit-Il, conclut avec le peuple d’Israël. On peut trouver cette interprétation dans les paroles de S.D. Luzzato : 

« Vous vous tenez debout – nous ne trouvons pas qu’ils aient répondu « Amen » ou fait quoi que ce soit pour montrer qu’ils acceptent l’alliance [après les malédictions], mais en restant là pour écouter les malédictions jusqu’à la fin, ils se sont considérés comme acceptants. » En d’autres termes, la posture debout des Israélites à la fin des malédictions est elle-même équivalente au fait de dire « Amen », une expression de consentement et d’acceptation de l’alliance. 

Ce mot fait écho, ce n’est pas un hasard, au verbe qui apparaît au moment du Mont Sinaï : « Et ils se tinrent au pied de la montagne ». Certes, il n’y a ici ni son de shofar, ni fumée, ni montagne, ni Tables, mais il s’agit sans aucun doute d’un second Sinaï, comme de nombreux commentateurs l’ont interprété. 

Et contrairement au moment du Mont Sinaï, une révélation à caractère unique, un évènement historique particulier, même si la tradition imagine que tous les Israélites étaient présents – c’est peut-être dans nos versets qu’il est plus facile d’entendre quelque chose qui nous parle, qui nous concerne : « Vous vous tenez debout aujourd’hui, vous tous, nous tous, chaque jour est « aujourd’hui ». » 

Debout après la chute

Mais les commentateurs ajoutent aussi d’autres facettes à ce mot : en cherchant à relier la posture debout des Israélites dans le discours de Moïse aux chapitres précédents, le Midrash Tanhuma (cité par Rashi dans son commentaire) propose d’interpréter cette posture comme une promesse que les Israélites se relèveront malgré les châtiments qui les frapperont. 

Suite au contexte des versets, immédiatement après la malédiction, le Midrash Tanhuma lit le mot nitzavim dans le sens d’une posture qui redevient droite, malgré les châtiments. 

VOUS VOUS TENEZ DEBOUT AUJOURD’HUI – C’est ce que dit le verset : « Retournez les méchants, et ils ne sont plus, mais la maison des justes subsistera » (Proverbes 12 :7). Tant que le Saint, béni soit-Il, regarde les actions des méchants et les retourne, ils ne peuvent se tenir debout. […] Mais Israël, ils tombent et se relèvent. […] À quoi cela ressemble-t-il ? À un héros qui a dressé une poutre et qui y lance des flèches. Ses flèches s’épuisent, mais la poutre reste à sa place. De même, Israël, chaque fois que les souffrances viennent sur eux, les souffrances s’épuisent et ils restent à leur place et ne sont pas épuisés. C’est pourquoi il est dit : « Retournez les méchants, et ils ne sont plus ».

Hizkiya, fils de Rabbi Hiyya, a dit : « Pourquoi ce chapitre a-t-il été juxtaposé au chapitre des malédictions ? Parce que les Israélites ont entendu les cent malédictions moins deux qui sont mentionnées dans ce chapitre, en plus des quarante-neuf qui sont mentionnées dans la Torah des Prêtres. Immédiatement leurs visages ont pâli et ils ont dit : Qui peut supporter cela ? Immédiatement Moïse les a appelés et les a apaisés. […]

Et si vous demandez pourquoi les nations sont passibles d’extermination alors que nous restons. Parce que lorsque les souffrances viennent sur eux, ils se rebellent et ne mentionnent pas le nom du Saint, béni soit-Il, comme il est dit : « Verse ta fureur sur les nations qui ne te connaissent pas, etc. » (Psaumes 79 :6). Mais Israël, quand les souffrances viennent sur eux, ils s’inclinent et prient, comme il est dit : « J’ai trouvé la détresse et le chagrin, etc. » (Psaumes 116 :3-4). C’est pourquoi le Saint, béni soit-Il, leur a dit : « Même si ces malédictions viennent sur vous, elles vous feront tenir debout. » Et il est dit : « afin de t’humilier et de te mettre à l’épreuve, etc. » (Deutéronome 8 :16). Et ainsi Moïse a dit aux Israélites : « Même si ces souffrances viennent sur vous, vous aurez la force de vous relever. » C’est pourquoi il est dit : « Vous vous tenez debout aujourd’hui, vous tous. »

Le Midrash commence par un verset des Proverbes pour aboutir à notre verset : selon le Midrash, les mots de Moïse prennent leur plein sens dans un contexte qui déborde les limites du discours de Moïse, et qui réfère à la capacité du peuple juif de se relever des châtiments qui l’accablent. Dans ce Midrash, Dieu dit aux Israélites que les malédictions les rendront forts (Deutéronome 8) ; Moïse, lui, a des paroles de réconfort : même si ces souffrances vous accablent, vous aurez la force de vous relever. Vous tiendrez bon, malgré la malédiction, les épreuves et les châtiments.

Il est intéressant que le Midrash imagine ici deux approches différentes : Dieu est le porte-parole d’une approche qui voit les souffrances comme un facteur qui fortifie, qui renforce, qui galvanise. Moïse, plus paternel, rassure le peuple accablé en lui promettant que tous réussiront à faire face et à se relever.  

La force de s’incliner pour rester debout

Mais le Midrash propose aussi une compréhension un peu paradoxale du mot nitzavim : quelle est, demande le Midrash, la nature de la différence entre les méchants (les nations du monde) et les Israélites ? Comment expliquer que les souffrances épuisent les nations, tandis que pour les Israélites, les souffrances s’épuisent et eux demeurent debout ? La réponse est intéressante justement par sa formulation : « Mais Israël, quand les souffrances viennent sur eux, ils s’inclinent et prient. » La grandeur d’Israël, selon ce Midrash, celle qui leur permet de rester debout, est justement de savoir « s’incliner » et prier. Le Midrash voit, de manière un peu paradoxale, la promesse des nitzavim comme découlant de la capacité – la volonté – de se courber, de faire preuve d’humilité authentique, de s’arrêter, de ne pas s’entêter dans notre posture droite et notre arrogance.

Le Midrash ne lit pas les mots « Vous vous tenez debout aujourd’hui » comme une description, mais comme une vertu à cultiver : cette vertu est la capacité et la volonté de réexaminer notre réalité humaine avec humilité, au lieu de persévérer dans un entêtement stérile.  

Un dialogue debout avec Dieu

Je voudrais proposer une dernière lecture de notre verset, qui relie notre parasha à la période des Selihot et des jours du repentir, et qui relie les Israélites rassemblés devant leur leader, à Moïse debout, seul, dans la fente du rocher (Exode 34). À force de le répéter dans la prière, ou peut-être à cause du poids des autres versets qui l’entourent, « Et l’Éternel passa devant lui et appela, » et des Treize Attributs, il me semble parfois négliger de prêter attention à cet incroyable verset de l’Exode 34 :5 : « Et l’Éternel descendit dans la nuée, et [il/Il] se tint debout (vayityatzev) avec lui là, et il appela au nom de l’Éternel. »  

Si le début du verset ne prête pas à confusion (Dieu descend dans la nuée), la suite peut être lue de deux manières : l’Éternel descend dans la nuée, et Moïse se tient debout, comme il l’avait commandé dans le chapitre précédent « Et tu te tiendras [debout] (venitzavta) sur le rocher » (Exode 33 :21) – et tu te tiendras là sur le sommet de la montagne (34 :2). C’est ainsi que la traduction de Jonathan l’interprète (Et l’Éternel se manifesta dans le nuage de la gloire de Sa Shekhinah, et Moïse se tint là avec Lui, et Moïse appela au nom du Verbe de l’Éternel) et c’est aussi l’interprétation d’Ibn Ezra et du Sforno. 

Toutefois, de nombreux commentateurs choisissent de souligner la deuxième possibilité de lecture : 

Rashbam : « Et se tint avec lui » – avec Moïse qui se tenait debout là, comme il est écrit « Et tu te tiendras sur le rocher » (Exode 33 :21). 

Ramban : « Et se tint avec lui là » – Dieu se tint debout, comme dans « Et l’Éternel vint et se tint debout » (1 Samuel 3 :10), et « avec lui » – avec Moïse, qui est venu dans la nuée comme au début (voir Exode 24 :18). 

Le Midrash Lekah Tov sur le verset de Shemot 34 :5) imagine une scène : Dieu, debout à côté de Moïse, lui montre comment se tenir pour officier et réciter les 13 attributs divins. “Cela enseigne qu’Il lui a montré comment Israël se tient debout devant Lui et comment l’officiant d’Israël doit proclamer devant eux : « L’Éternel, l’Éternel [début des 13 attributs]. » Dans cette interprétation, ce n’est plus Moïse qui se tient debout en réponse à un commandement divin. Ce sont Dieu et Moïse, qui se tiennent debout, dans une posture réciproque, intime, une réponse à une invitation, une invitation au repentir et au retour.

En adressant ces mots aux Bnei Israel – vous êtes là, tous, debout, aujourd’hui ! – des mots qui continuent de retentir loin de leur contexte originel, Moïse offre au peuple entier, et à nous tous, la possibilité qui se profile dans l’épisode de Shemot 34 : celle de l’être humain et de Dieu répondant à l’invitation lancée par chacun d’eux, debout dans la nuée.  

  1. Éxode 18: 14 וַיַּרְא חֹתֵן מֹשֶׁה אֵת כָּל אֲשֶׁר הוּא עֹשֶׂה לָעָם וַיֹּאמֶר מָה הַדָּבָר הַזֶּה אֲשֶׁר אַתָּה עֹשֶׂה לָעָם מַדּוּעַ אַתָּה יוֹשֵׁב לְבַדֶּךָ וְכָל הָעָם נִצָּב עָלֶיךָ מִן בֹּקֶר עַד עָרֶב. ↩︎
  2. Exode 2 :4 ↩︎